À travers 80 recettes, cet ouvrage nous fait découvrir une cuisine végétale, authentique et résolument politique. La cuisine est un art, un mode de vie mais aussi un facteur d’identité. Derrière les fourneaux depuis son plus jeune âge, Marie Kacouchia a grandi entre la France et la Côte d’Ivoire. Cette cheffe parisienne a longtemps exploré les gastronomies du monde avant de revenir à ses racines africaines. Aujourd’hui, elle a décidé de se réapproprier son héritage culturel par l’alimentation et de promouvoir l’afrovéganisme. Dans son dernier livre de recettes, Cuisines d’Afrique, elle propose une initiation à cette cuisine qui se veut accessible, gourmande mais aussi politique. Rencontre avec une cheffe inspirante et engagée.

Marie Kacouchia a 30 ans et déjà deux livres à son actif. Cette cheffe amateure a toujours été passionnée de cuisine mais depuis quelques années, elle s’est engagée dans un “nouveau chemin de vie” : l’afrovéganisme. Ce mouvement, qui mêle véganisme et saveurs d’Afrique, a notamment pour mission de rendre accessible la cuisine végétale et de combattre le racisme. Après un premier livre auto-édité, Marie Kacouchia nous invite à découvrir cette gastronomie dans Cuisines d’Afrique, publié aux éditions La Plage. Mafé aux légumes, yassa burger, pancakes aux bananes plantains ou encore bissap au basilic…À travers 80 recettes, cet ouvrage propose une cuisine métisse, politique et authentique. Une véritable initiation à l’afrovéganisme, qui comprend aussi des anecdotes et des conseils pratiques pour faciliter l’immersion. Rencontre avec l’autrice de cet ouvrage indispensable.

Marie Kacouchia. Photo : Fatou Wagué.

Votre livre s’ouvre sur une dédicace à vos parents et sur une phrase de votre mère, Marie-Madeleine : “On cuisine avec le cœur ou on ne cuisine pas”. La cuisine pour vous, est-ce une affaire de famille ?

Il y a de ça, indéniablement. Je viens d’une famille où l’on était assez pudique, où l’on ne se disait pas « je t’aime » facilement et la cuisine était un moyen pour nous d’exprimer nos sentiments. On a un peu tous pris ce pli et on apprécie de se faire à manger entre nous. Dans mon cas, j’ai toujours aimé cuisiner et très vite, j’ai vu dans cette activité un moyen d’explorer ma personnalité et ma créativité.

En ce qui concerne les cuisines africaines, on aurait tendance à penser qu’étant africaine, c’est ma mère qui m’a transmis ces savoirs. C’est en partie vrai, elle cuisine très bien et j’ai assisté à de nombreuses préparations. Mais chez nous, on ne mange pas de plats ivoiriens ou burkinabés tous les jours. Disons que c’était réservé aux occasions un peu spéciales, aux moments où ma mère ressentait le mal du pays. J’ai donc d’abord exploré la cuisine française, la cuisine asiatique et plein d’autres cuisines avant de revenir assez tard aux cuisines africaines.

L’akpessi est un plat d’origine ivoirienne, préparé à base d’aubergines et d’igname. Photo : Fatou Wagué.

Quand avez-vous développé votre intérêt pour les cuisines africaines ?

Cet intérêt a fini par arriver en même temps qu’un questionnement profond sur mon identité, vers la fin de mes études. Je me suis beaucoup interrogée sur mes goûts, ma personnalité et sur le fait d’avoir mis tout ce qui avait trait à mes racines au second plan. À ce moment-là, c’était le renouveau du mouvement nappy qui promeut les cheveux crépus et l’arrivée en trombe du wax en France. J’ai décidé de retourner en Côte d’Ivoire et là ça a été une vraie redécouverte. D’abord une redécouverte des aliments, car il y en avait beaucoup que je ne consommais pas quotidiennement en France mais aussi une redécouverte des traditions, sur la façon de manger, de consommer les repas. À travers cette cuisine, j’ai retrouvé une manière de communiquer avec des membres de ma famille dont je ne parle pas la langue.

Étant autodidacte, j’expérimente quotidiennement et continue de me former aux cuisines afros, en regardant et en imitant des tatas, des mamans et des personnes que je suis sur les réseaux sociaux. C’est très empirique comme processus mais cela me permet ensuite de trouver mon style et me donne envie de partager à mon tour mes connaissances, notamment à travers le livre.

Ce livre de recettes, comme l’indique son titre, aborde les cuisines d’Afrique sous le prisme du véganisme. Pourquoi avoir fait ce choix ?

En fait, dès le départ je l’ai pensé comme ça. D’abord parce que cela fait un an que je suis moi-même végane, ou plutôt afrovégane. J’ai d’ailleurs fait ma transition en écrivant le livre, puisqu’auparavant je me considérais plutôt végétarienne. C’est notamment grâce à des rencontres avec des personnes véganes et afrovégane et en voyant mon petit frère devenir lui aussi végane que je me suis dit qu’il était temps que je franchisse ce pas. Mais je suis encore en apprentissage et chaque jour, je continue de découvrir ce que veut dire être végane et noire, c’est-à-dire avoir une conception du véganisme qui n’est pas eurocentrée. J’ai envie de partager ce cheminement et le livre fait partie des moyens que j’ai choisi pour le faire.

Ce livre est aussi une belle occasion de briser des clichés qui ont la dent dure sur les cuisines africaines. Il y a encore des stigmas qui viennent des personnes non-africaines, mais aussi des Africains, stipulant par exemple que certains plats sont réservés à des moments spécifiques, que les cuisines africaines ne sont pas des cuisines accessibles, qu’elles sont trop grasses et riches en viande. Il y a tellement d’a priori cristallisés autour de cette gastronomie que l’on se prive d’une multitude de plats qui pourtant sont très bons. Ces cuisines gagnent à être connues car elles peuvent aussi être bienfaisantes et correspondent à une approche assez holistique de l’alimentation, avec un lien fort au soin du corps, notamment via l’utilisation d’épices, d’infusions, etc.

En croisant les cuisines africaines et le véganisme, l’idée est de faire d’une pierre deux coups. J’essaie de montrer que les cuisines d’Afrique sont accessibles et en même temps, le véganisme permet de revoir son approche de l’alimentation et de s’interroger sur son rapport au vivant.

Le chakalaka désigne une sorte de ragoût sud-africain, à base de légumes et d’épices. Photo : Fatou Wagué.

Vous parliez de clichés et d’a priori, il en existe aussi autour du véganisme. Votre livre s’adresse-t-il à un public déjà convaincu ?

Non, je pense qu’il s’adresse à tout le monde mais il est vrai que le véganisme souffre encore de nombreux clichés. Les gens qui ne sont pas véganes vont se dire que c’est une cuisine de privation et que ce mode de vie peut être vu comme un caprice d’enfant trop gâté. Certaines personnes ont parfois des réactions très violentes, presque épidermiques, à la simple vue du mot « végane ». Je pense que c’est parce que cela remet en question tout ce qu’elles connaissent déjà, c’est un peu comme casser leur logiciel. Mais l’afrovéganisme n’est pas une cuisine de privation, c’est une cuisine de vie.

Quand on revient au véganisme, il y a quelque chose d’assez viscéral : on ne mange plus comme un robot, on redécouvre les aliments et on se pose des questions sur ce que l’on ingère plusieurs fois par jour. Pour écrire mon livre, j’ai demandé à des personnes africaines si elles connaissaient des recettes véganes. Soit elles rigolaient, soit elles ne savaient même pas de quoi je parlais. Mais à force de discussions et d’explications, les exemples affluaient. Ma mère s’est d’ailleurs souvenue que dans notre village, le poisson et la viande étaient réservés aux jours de fêtes. Aujourd’hui, elle ne mange plus de viande et je trouve cela très inspirant et courageux d’entamer cette transition à son âge.

Ma mère m’a aussi rappelé l’usage médicinal de certaines préparations ou ingrédients comme le bissap ou le kinkéliba. En Afrique comme ailleurs, il y a une multitude de savoirs empiriques qui méritent d’être reconnus et célébrés, au même titre que l’on célèbre aujourd’hui la médecine ayurvédique venue d’Inde par exemple. On n’a pas besoin d’attendre que les aliments soient estampillés « superfood » pour leur accorder notre attention.

Au-delà de l’aspect culinaire, diriez-vous que l’afrovéganisme est une démarche politique ?

Oui, absolument. Je pense que c’est même politique au sens le plus brut du terme, c’est-à-dire “faire société différemment”. Ce mouvement invite à repenser le contenu de notre assiette, à réfléchir au fait que notre alimentation est construite et colonisée, à s’interroger sur les motivations qui se cachent derrière nos choix alimentaires, à comprendre que ces choix peuvent parfois soutenir des entreprises ou des modes de pensée qui sont racistes, misogynes etc. L’afrovéganisme invite à changer de prisme et à sortir d’une vision capitaliste centrée sur l’Occident.

De manière générale, je pense qu’il est important de questionner nos choix, nos habitudes et ce qu’elles impliquent, et ce que l’on soit noire ou pas, afrodescendante ou pas. Si l’on n’est pas d’accord avec le constat que l’on établit, il existe des manières concrètes d’agir et de changer. Si on le veut, on le peut.

L’atassi est une spécialité culinaire du Bénin et du Togo qui mélange du riz et des haricots. Photo : Fatou Wagué.

Justement, quels conseils donneriez-vous à des personnes curieuses de découvrir le véganisme et l’afrovéganisme, mais qui n’osent peut-être pas se lancer ?

Je leur dirais d’abord que ce n’est pas une compétition. Il ne faut pas être « parfait » quand on s’initie au véganisme ou à l’afrovéganisme. Il faut simplement y aller, se lancer et essayer d’être indulgent avec soi-même. Quand cela fait 27 ans qu’on mange d’une certaine façon, c’est assez difficile de perdre ses repères d’un coup, de devoir s’assumer et s’intégrer socialement. Mais au fur et à mesure, on gagne confiance en soi, on apprend à cuisiner végane et surtout à cuisiner des choses qui nous font plaisir, sans avoir à utiliser des produits issus de l’exploitation animale.

Les réseaux sociaux ont beaucoup de défauts mais ils sont aussi une ressource non négligeable lorsque l’on entame cette transition. Ils permettent de créer du lien avec des personnes qui nous ressemblent, qui partagent nos doutes et nos peurs ou au contraire, qui nous guident grâce à leur expérience. J’essaie moi-même de partager ce que je peux sur les réseaux pour, à mon tour, inspirer d’autres personnes. Comme me disait ma mère, « on n’attire pas les mouches avec du vinaigre ». Alors j’essaie de créer un contenu positif qui donne envie.

Sur mes réseaux, comme avec le livre, ma mission est la même : rendre accessible la cuisine afrovégane. J’aimerais que les gens qui lisent le livre s’approprient cette gastronomie et puissent intégrer certaines recettes dans leur répertoire, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai choisi des recettes faciles. Pour cuisiner afro, il vous fera tout de même quelques ingrédients spécifiques mais pas de panique ! On peut les trouver en ligne, dans certains rayons de supermarchés ou dans des épiceries spécialisées. Si vous êtes à Paris, promenez-vous à la Goutte d’Or, à Château d’eau, à Château rouge ou encore à Barbès et vous trouverez tout ce dont vous avez besoin pour vous régaler.

« Cuisines d’Afrique» de Marie Kacouchia, éditions La Plage, 180 pages, 29,95 euros. Photo : Éditions La Plage

Pour découvrir les recettes, conseils et réflexions de Marie Kacouchia, retrouvez-la sur son compte Instagram. Le livre Cuisines d’Afrique est quant à lui disponible à la vente juste ici.