“Le plastique a encore de la valeur”, lance Nzambi Matee en montrant des montagnes de bidons d’huile, bassines, pots de yaourts et autres déchets qui, dans son usine de Nairobi, au Kenya, sont broyés en petits flocons colorés. Selon elle, “le plastique est un matériau incompris.” Cette ingénieure et inventrice kényane de 30 ans sait de quoi elle parle : sa start-up recycle des tonnes de plastiques, voués à engorger les décharges de la capitale, en briques éco-responsables utilisées dans la construction. Zoom sur cette innovation prometteuse.
Les briques durables qu’elle a elle-même créées pavent déjà certains trottoirs, allées et rues de Nairobi, et pourraient bientôt constituer aussi un matériau alternatif pour construire des maisons à bas prix. En plus d’être écologiques, ces briques d’un nouveau genre sont plus solides, plus légères et moins chères que le ciment.
Chaque jour, l’entreprise de Nzambi Matee, Gjenge Makers, produit 1 500 briques à partir de plastiques domestiques ou industriels. La jeune ingénieure a quitté un emploi dans le secteur pétrolier – industrie qui produit le plastique à partir d’énergies fossiles – afin de se lancer dans le recyclage après avoir été choquée par la faible quantité de déchets recyclés. “À Nairobi, nous générons environ 500 tonnes de déchets plastiques chaque jour, et seulement une fraction de cela est recyclée”, rappelle l’entrepreneuse en jean et baskets, en parcourant avec entrain son usine. “Cela m’a interrogée : que devient ce plastique ?”
Des briques 2 à 7 fois plus solides que le ciment
Au Kenya et ailleurs, l’essentiel termine sa vie dans des décharges, si ce n’est dans les rivières ou les océans, tandis que seulement 10 % sont recyclés. À Nairobi, une des capitales les plus dynamiques d’Afrique, la jeune femme trouve plus de matière première qu’il ne lui en faut, en parcourant les zones industrielles de la ville. Il lui a fallu plusieurs années pour perfectionner un prototype – les machines nécessaires ont été conçues sur mesure – mais en 2019, sa production a pu enfin commencer.
Le plastique déchiqueté est mixé avec du sable et soumis à des températures extrêmes, devenant une matière visqueuse et malléable à laquelle on donne la forme de briques de toutes tailles. Le produit final : un pavé deux à sept fois plus solide que le ciment, mais deux fois plus léger et même 15 % moins cher, affirme Matee.
Le plastique est fibreux par nature et le procédé de production unique de l’usine permet d’éviter que ne se forment des poches d’air. Ceci permet une plus grande solidité par rapport aux briques classiques, qui peuvent craqueler sous une trop grande pression ou sous l’effet du temps. “Grâce à cela, elle ne casse pas”, affirme Nzambi Matee, en tapant deux briques l’une contre l’autre.
En 2021, l’entreprise a recyclé 50 tonnes de plastique mais elle ambitionne de doubler ce chiffre cette année.
“Nous ne sommes qu’une goutte dans l’océan”
Le projet n’est pas sans contraintes. Sur les sept grands types de plastiques, seuls quatre peuvent être recyclés en briques. Le PET – utilisé notamment pour les bouteilles, un des grands fléaux pour l’environnement – n’est pas compatible pour le moment, mais l’entreprise espère trouver une solution. “Il est possible de faire plus, il faut faire plus. Nous ne sommes qu’une goutte dans l’océan”, ajoute-t-elle.
Gjenge Makers veut se lancer sur le marché des maisons à bas prix en concevant des pavés qui pourront remplacer les briques, ciment et autres matériaux traditionnels. Un prototype est à l’étude, dans le but de parvenir à réaliser une maison témoin d’ici la fin de l’année. “Nous voulons être les leaders dans les matériaux de construction alternatifs. Le plastique est notre premier angle d’attaque”, explique Matee.
Son travail innovant lui a valu des louanges, notamment lors d’un récent sommet de l’ONU à Nairobi, essentiellement dédié à la crise du plastique. Gjenge Makers a également créé plus de 100 emplois directs et indirects. Une fierté pour Nzambi Matee, qui a ainsi pu aider à la fois des familles et l’environnement, une combinaison impossible dans son précédent travail. “Disons que je dors mieux”, sourit-elle.
SOURCE : AFP