Samedi 21 mars 2009

Il est 23 heures ici à Bukavu, au bord du lac Kivu – 1480 m d’altitude, à l’Est du Congo (RDC République Démocratique du Congo).
En une journée, jour du printemps, j’ai parcouru 150 Km au travers de trois pays et relié deux grands lacs : le Tanganyika et le Kivu !
En une seule journée, ma tête s’est remplie de milliers d’images, de milliers de personnes, de milliers d’émerveillements, de milliers de découvertes, de milliers de couleurs, de milliers de vélos et de motocyclettes, de milliers de verdures, de milliers de surprises…..
Mais commençons par le début.

Ce samedi matin, dans tout le Burundi et bien sûr à Bujumbura, c’est le jour des travaux communautaires. Toute circulation automobile est interdite sauf autorisation spéciale, tous les citoyens « sont invités » à des travaux d’intérêt général : élagages, coupes des végétations qui envahissent l’espace public, nettoyage des routes et artères… Impossible de circuler avant 10 h 30.

C’est à 11 h que je prends la route, avec John venu me chercher.

En route vers Uvira, deuxième port de RDC après Matadi. Située sur le lac Tanganyika, juste en face de Bujumbura, la ville d’Uvira, porte d’entrée de toutes les rébellions en ce compris la dernière, celle de Kabila père. Ma porte d’entrée également, serais-je encore rebelle ou simplement enragé, à chacun de voir.

A l’écoute de Radio Okapi, j’apprends que le Président Kabila fils, Joseph de son prénom, est en visite officielle au Sud Kivu et notamment à Uvira !
Celui qui veut suivre et comprendre cette première journée de route se doit d’ouvrir – maintenant tout de suite – un atlas, s’il veut appréhender la situation et voir les deux grands lacs et les trois pays : Burundi, RDC et Rwanda.

En résumé et pour situer, la RDC est un  pays immense. Pour saisir cette immensité il faut se rappeler que le Congo correspond aux territoires des pays d’Europe qui s’étendent du Portugal à la Pologne comprise ! Un pays-continent qui comprend la chaude forêt équatoriale, la savane mais aussi les volcans des Virunga, les neiges éternelles et les glaciers du Ruwenzori (5 119 m), aux frontières orientales.
La région des Grands Lacs est équivalente à la France et l’Espagne mais comprenant des régions et pays de petites superficies dont le Kivu ( Est de la RDC ), le Burundi et le Rwanda, et de grands pays comme l’Ouganda et la Tanzanie notamment ! Le lac Tanganyika est long de 750 Km !
Je suppose que vous avez suivi et que l’atlas est ouvert sous vos yeux ébahis et curieux !

Pour les autres yeux tout aussi curieux, Google Earth est également instructif , et si l’on utilise simplement Google, il faut cliquer sur « Map » et se promener sur le monde et la Région des Grands Lacs de façon dynamique (ici).

« En route vers de nouvelles aventures ! », comme disait Tintin à Milou……Et oui, il est impossible pour moi de voyager ici sans que ne resurgissent de mon enfance les images de « Tintin au Congo »….

Mais bien sûr, j’ai aujourd’hui beaucoup d’autres lectures et références sur l’Afrique et le Congo et particulièrement le livre remarquable du journaliste polonais décédé récemment, Ryszard Kapuscinski, « Ebène – Aventures africaines » en « Pocket » n°11351, à lire et relire absolument, en vente dans toute bonne librairie à Liège et ailleurs pour 6 €.

A la sortie de Bujumbura, une route de bitume longe le lac Tanganyika à gauche. A droite s’étend une plaine de marécages et de végétations luxuriantes. A l’horizon, des collines et montagnes vertes surplombées de nuages attirent mon regard et développent mes projets d’aventures et découvertes.

Ils sont des centaines sur la route, vélos chargés comme des mulets, motocyclettes à deux ou trois passagers et  marcheurs portant toutes sortes de charges et d’outils, route étroite sans bas-côtés, sans tranchées d’évacuation des eaux de ruissellement, avec des nids de poules par-ci par-là, mais pas de problème pour la Toyota blanche 4X4 chassis long, modèle Prado, dans laquelle je suis installé « comme un Prince »…
« Passe par le Burundi, tu seras comme un Prince » ils disaient…..

C’est exact, sur le bord de la route que nous parcourons à vitesse réduite vu son étroitesse et les très nombreux usagers faibles, John au volant, des marchandes de fruits et légumes nous invitent : ananas, citrons, oranges, poires, avocats trois fois plus gros qu’au Delhaize !
On traverse ensuite la rivière Rusizi qui réunit le lac Kivu au Tanganyika et qui constitue la colonne vertébrale de la grande  plaine du même nom séparant le Burundi du Congo, puis du Rwanda.

Et nous voici déjà à la frontière, nous avons parcouru 15 Km.

La frontière !

Comme à toutes les frontières, le même scénario. D’abord dans le décor général il faut des taxis ou plus précisément des taxis collectifs ou mini-bus, les seuls transports de personnes qui existent là où il n’y a ni trains ni service de bus publics. Mais en plus, il faut des policiers, quelques militaires et pourquoi pas des douaniers et, tant qu’on y est, d’autres voyageurs et badauds….
Bien vu, c’est exactement ce que j’ai capté en arrivant, une Prado de la Monuc en plus (Mission ONU au Congo)!

Deux cents mètres plus loin, entrée en RDC, c’est le même scenario.
Dans le bureau du chef, un grand sourire m’accueille, je tends une main franche et directe, yeux dans les yeux, le chef m’invite à prendre un siège ! Accueil convivial, tampon et poignée de mains en 3 minutes.
Et voilà, avis aux amateurs……

La barrière se lève, entrée en RDC, la danse commence. Impossible de rester assis sur le siège, la route est tellement défoncée que seuls les 4X4 peuvent passer sans racler le sol avec le bas de caisse. Pas de bitume, aucune trace d’asphalte, elles ont disparu depuis des années ! Ca des nids de poules ! Mais ce sont des nids d’éléphants ! Des bosses et des fosses de 30 à 50 cm, jamais vu cela, ni en Turquie, ni en Iran, ni en Afghanistan dans les années 70, jamais vu cela dans le Sahara ni en Casamance, ni au Zimbabwé ou ni au Botswana, nulle part ! Congo number one !

Actualisation : La route séparant le poste frontière à Uvira a été remise en état par les engins de chantiers de la Monuc depuis août 2009. Cette piste, car il n’y a toujours pas d’asphalte, est maintenant praticable sans trop de secousses, mais poussière garantie en période sèche !

En route vers de nouvelles mais prudentes aventures !
Sur cette route provinciale d’entrée dans Uvira, des centaines de motos-taxis rivalisent d’adresse pour évoluer – quel gymkhana ! – entre les piétons souvent chargés, portant des barres de fer longues de 6 m ou des régimes de bananes, ou des jerrycans et autres récipients en plastique jaune remplis d’eau, des vélos eux aussi chargés de sacs de farine ou de ciment, de ballots de feuilles de manioc, de bois de chauffage etc….La plupart du temps, le cycliste marche à côté de son vélo-mulet !
Et dans toute cette circulation, des enfants, des chèvres, des mamans rentrant de la rivière avec la lessive, mais aussi quelques camions, camionnettes et jeeps militaires de la Garde présidentielle. C’est vrai, je l’avais oublié celui-là, le Président Joseph Kabila  n’est pas loin, mais où ? Prendra-t-il la parole, s’adressera-t-il aux habitants d’Uvira, c’est la question que chacun se pose ?

Après le repas pris en famille chez John, fufu ( prononcer foufou ) et petits poissons fumés, la route s’ouvre à nous vers le nord, une des très rares routes asphaltées de RDC. Cette route plein nord de 70 Km nous mène vers Kamanyola et le poste frontière avec le Rwanda de Bugarama.

Tout le long de cette voie, des centaines de mamans rentrent du champ portant leur outil et des réserves de bois de chauffage, ainsi que quelques fruits, choux ou manioc.
Toutes ces femmes de tous âges marchent sur le bord de la route en file indienne, le dos courbé sous le poids de la charge (pour en savoir plus www.observatoiredelaparité.org ). Peu d’hommes participent aux travaux agricoles, moins de 5 % si mon observation est bonne, de plus, généralement l’homme a un vélo.

Nous traversons des villages disposant d’un ou deux puits que l’on repère facilement en voyant la concentration de petites filles portant des jerrycans jaunes autour et alentours et bien sûr le long de la route.

C’est sur cette route qui longe la grande plaine (très peu cultivée et exclusivement de façon artisanale sans aucun recours aux  bêtes de somme et encore moins à des engins mécanisés) que l’on peut s’approvisionner en lait, lait caillé, yaourts produits à partir des troupeaux qui paissent dans cette plaine et dans les collines la bordant.
Après une heure et demie de route, frontière rwandaise, formalités habituelles.

Dès la barrière passée, on est dans un autre monde ! Mais avant de décrire cet autre monde, un mot à propos de la barrière ! Au Congo, elle est soudée en de nombreux endroits, couverte de beaucoup de rouille et de peu de peinture, parfois elle se lève, parfois elle s’écarte, mais ce qui est permanent c’est la diversité des vêtements de ceux qui l’actionnent ! A vrai dire, je suis chaque fois surpris de voir que cette barrière est actionnée soit par un « papy », soit un enfant, souvent un ado mais jamais vêtu d’une uniforme de douanier ou de policier. On a l’impression que le poste de douane est, en dehors du bureau à tampons, géré par des civils, les copains et cousins des douaniers vraisemblablement !
A l’entrée du Rwanda, rien de tout cela, c’est comme chez nous, les douaniers sont des douaniers et les policiers sont des policiers, tous avec des uniformes semblables par catégories, càd des uniformes uniformes !
Les routes sont parfaites, avec rigoles d’évacuation des eaux, marquages au sol, panneaux de signalisation routière.
Si l’habitat est relativement construit avec les mêmes matériaux, l’environnement des maisons est soigné, nombreuses fleurs et verdurisation entretenue autour et alentour.
De plus, la circulation est structurée et les animaux telles les chèvres sont attachées ou tenues en laisse par des enfants notamment.
Un autre pays, mais surtout un autre monde !
La traversée de 50 km se déroule sans encombre, photos des enfants et jeunes filles et garçons portant des jerrycans d’eau (à première vue, les garçons participent au transport de l’eau), photos diverses dont les très belles plantations de thé.

Vers 18 heures, arrivée au poste frontière et seconde entrée en RDC pour retrouver, le pont franchi, une route défoncée. La vitesse de déplacement chute de 60 à 10 km/heure.
Le Lac Kivu est devant moi, une splendeur, des lumières incroyables, quelle beauté, quelle joie !

Note : itinéraire suivi à partir d’Uvira :
Uvira, Bwegera, Kamanyola, frontière de Bugarama…transit dans le Rwanda puis arrivée à Bukavu par le poste de Rusizi 1.

Pêche dans le lac Kivu

Pêche au filet Maillant, petites mailles, en barque de bois de 5 m de long avec moteur hors-bord classique, pêche à la lampe à pétrole essentiellement à la tombée de la nuit ou pendant la nuit.
Le filet est lancé pour 2 heures, pêche de 5 à 10 kg de très petits poissons de 8 à 12 cm (même taille que les anchois). Le kilo est vendu par le pêcheur 1 400 FCongolais le kilo aux mamans, celles-ci les font sécher au soleil durant une heure ou deux selon la taille puis les transportent et revendent au marché 1600 à 1700 FC (800 FC = 1 dollar).
A Bukavu, la coopérative regroupe 140 pêcheurs, 54 coopératives pour le lac Kivu côté RDC.
Pour devenir pêcheur et adhérer à la coopérative, il faut acheter un filet et suivre la formation organisée par la coopérative. Le pêcheur n’ayant pas de barque paie un dollar par semaine au propriétaire pour pouvoir jeter un filet chaque jour.

Une autre coopérative regroupe les pêcheurs qui utilisent d’autres méthodes pour la pêche du tilapia. Ce poisson de plus grande taille a été introduit récemment dans le lac Kivu.
Il faut savoir que le sous-sol du lac contient des poches de méthane, exploité à partir de deux plates-formes dans les eaux rwandaises. Mais de ces poches s’échappe du gaz dans le lac, ce qui limite très fort la vie aquatique : pas de crocodiles ni d’hippopotames, ni de poissons de grandes tailles comme le capitaine et la perche du Nil que l’on trouve dans le Tanganyika voisin.

Activités sur et dans le lac :

Par ailleurs et cela posera problème si l’Autorité publique décide de développer le tourisme au bord du lac, très peu d’habitants ont appris à nager (pas de piscines, très peu d’accès aisés au lac car pas de plage à Bukavu et environs) ce qui engendre régulièrement des noyades lorsqu’une barque ou un bateau chavire. Les pêcheurs ne savent pas nager non plus (sauf très rares exceptions) !

Transports à Bukavu

Pas de transports publics organisés, pas de routes bitumées à l’exception d’un tronçon de 2,5 km gangrené de trous et bosses mais depuis peu, il y a le devenu célèbre kilomètre témoin ! Eh oui, Bukavu retrouve, mais à petites doses,  des tronçons de voirie parfaitement asphaltée et marquée au sol d’une signalisation !
Les transports collectifs sont exclusivement privés et se décomposent comme suit : 2700 motos-taxis, 300 voitures-taxis et des minibus, principalement des Toyota transformés – les sièges sont remplacés par des bancs de bois afin d’augmenter le nombre de places – et accueillant 20 à 23 passagers assis, plus ceux qui s’agrippent aux portes !
Pour le transport des marchandises, camions et camionnettes de toutes tailles et en tous genres, pas de charrette avec animal de bât. Mais il faut mettre en évidence les milliers de femmes qui portent tout sur la tête ou sur le dos : bois de chauffage, sacs de farine de 50 voire de 60 kg (n’en croyant pas mon guide, j’ai tenté de soulever un sac : impossible !), des fruits, légumes, poissons, charbon de bois, des briques de construction etc….. Les hommes portent peu et utilisent de préférence le vélo comme mulet.

Températures

Le climat est idéal, les températures varient de 22 à 26 degrés, rarement 30.
Il faut être à plus de 2 000 m d’altitude par temps de pluie pour connaître des températures de 18 ou 19 degrés !